PAVEL ET LA STATUE

Pavel était déçu des femmes. Arpentant les rues de France, il les observait une à une. Emmitouflé dans des vêtements toujours un peu trop grands pour lui, il cherchait celle qui sortirait du lot. Malheureusement, quand l’une avait le cou trop court, l’autre avait le bras trop épais. Toute sa vie, Pavel, qui avait rencontré beaucoup de femme, n’en avait trouvé aucune à son goût.

Il y avait bien eu Brigitte, dont les cheveux dorés flottaient au vent, mais dont le genou était cagneux. Ou Annabelle, à la voix mélodique, mais aux os pointus. Entament parfois la conversation avec l’une d’entre elle, il était rapidement désillusionné par son manque de logique ou d’esprit, et la plantait ainsi, le verre en main, la bouche ouverte.

Alors, Pavel, qui était ce qu’on appelle un battant dans la vie, avait entrepris de ne pas se laisser abattre par le destin. Suite à une profonde réflexion, puis à une phase d’observation longue et détaillée, notre homme se mit au travail. Schémas, croquis et ébauches tout droit sortis de son imaginaire prirent forme sous le labeur de son poignet fin et exercé. Travaillant nuit et jour avec acharnement, son projet prenait forme de jour en jour. Choisissant le plus beau bois d’ébène, et des perles les plus précieuses, il modelait petit à petit la femme idéale. Le pied devait être fin, le mollet musclé. La courbe du coude orgueilleuse, le nez aquilin. Elle devait, surtout, être grande et porter le menton haut de fierté.

Quand Pavel, enfin, au bout de sa peine, les doigts ensanglantés et la nuque en sueur, releva la tête pour observer le fruit terminé de son œuvre, ses yeux, délicatement, se posèrent sur la statue érigée, et c’est alors, qu’avec grande stupeur, il découvrit l’horreur qu’il venait de fabriquer.

Les proportions étaient mal respectées, la femme semblait bancale, trop large, et ses angles exigus. Malheureux, Pavel rattrapa et outils, et entama une partie de l’épaule, dessinant mieux la scapula ; il creusa le cou, accentuant la lordose ; il suréleva le pied, marquant la voûte plantaire. Malgré ses efforts, la statue semblait empirée. Elle avait maintenant un air méchant, presque menaçant. Paniqué, le sculpteur s’attaqua aux traits du visage, qu’il tenta de limer. Au pli de l’oreille, qu’il lui fallut adoucir. La nuit s’en continua ainsi, et chaque fois, ses efforts l’éloignaient un peu plus de son objectif.

Au petit matin, alors que le jour s’invitait dans son atelier, fatigué, Pavel baissa les bras. Il téléphona à la déchetterie qui s’occupait de son quartier, et il s’assoupit, emporté par les rêves. Réveillé par la sonnette, il ouvrit à ces agents, qui venaient le débarrasser de son échec. L’un attrapa les pieds, l’autre les épaules, et ils la basculèrent sans précaution.

Mais, soudainement, Pavel s’écria « non ! ». Dans le choc, les débarrasseurs se regardèrent étonnés, et attendirent de l’artiste plus d’explication. Celui-ci, qui venait de comprendre, murmurait qu’elle était si belle. Septique, les deux autres demandèrent « vraiment ? ». Mais oui, répondit Pavel, vous ne voyez pas ? Son charme est fou, son pied trop plat et ses sourcils épais. Ce n’est pas du tout ce que je m’imaginais, mais c’est beaucoup mieux. Revenant à la raison, lui qui voulait en faire sa femme, décida de l’exposer en tant que statue.

Une fois les deux hommes partis, Pavel sirota un petit café, observant l’œuvre d’art, élégamment disposée sur son socle à côté du piano, sur la petite estrade. Toutes les femmes sont belle, se dit-il. À mieux y regarder, celle ci ressemble étrangement beaucoup à mon amie Cécile.

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